Gestion déléguée : des contrats nouvelle génération

S’il s’agissait de qualifier l’expérience marocaine en matière de gestion déléguée de services publics, plusieurs observateurs s’accorderaient sur la dominance des flops sur les tops. L’exemple le plus édifiant, et le plus d’actualité aussi à cet égard, est celui de Tecmed. Une évaluation de cette expérience effectuée par le ministère a fait ressortir des retards dans la réalisation des investissements, des problèmes de communication des informations contractuelles, le non-respect des engagements et des problèmes de gestion du patrimoine de l’autorité délégante. Aujourd’hui, devant la multiplicité des cas, le ministère de l’Intérieur a décidé de saisir à bras-le-corps ce dossier et s’attelle à en revoir le modèle. C’est pourquoi, le département de Cherkaoui travaille pour la mise en place d’un cadre de régulation, et le renforcement de mécanismes et structures de contrôle. Début de la fin, donc, des mésententes fréquemment relevées entre délégants et délégataires sur les clauses des cahiers des charges? Il est trop tôt pour en juger. Mais, déjà, le ministère envisagerait d’actualiser certaines dispositions contractuelles pour les adapter à l’environnement économique, social et politique actuel. Pourtant, même avec les couacs enregistrés, le Maroc reste en avance par rapport à ce qui se passe dans plusieurs pays africains.

«Le pays a un savoir-faire à exporter vers ces pays. Nous sommes déjà sollicités pour le conseil dans ce domaine», commente Mohamed Kadri, gouverneur directeur des régies et des services concédés au sein du ministère de l’Intérieur, qui se prononçait, en fin de semaine dernière, à l’occasion de la conférence sur «les enjeux de la gestion déléguée des services publics en Afrique», organisée par I-Conférences à Marrakech. Les intervenants à la conférence se sont ainsi accordés à dire que la délégation des services publics (DSP) nécessite un certain nombre de pré-requis pour la mise en œuvre des mécanismes et procédures de contrôle et de régulation de la DSP. Il s’agit des pré-requis institutionnels, juridiques et réglementaires. Dans son intervention, Louis Dubois, avocat à la Cour UGGC a mis l’accent, dans ce sens, sur la particularité, voire la complexité du contrat de la gestion déléguée. «Les problématiques liées au contrat de la gestion déléguée diffèrent d’un secteur à l’autre. La gestion des stades de football, par exemple, n’as pas les mêmes risques que la gestion de l’eau ou de l’assainissement.

Parmi les problèmes récurrents pour ce type de contrats, il y a ceux liés à l’objet du contrat ou encore à la rémunération», explique-t-il. La rémunération du délégataire est un point nodal sur lequel s’arrêtent longtemps les contractants, car ce n’est pas toujours facile de proposer un service public de qualité à un tarif abordable. Pour reprendre les termes de Hassan Noha, chef de division de la Régulation et contrôle des régies et services concédés du ministère de l’Intérieur, «le tarif est politique». Pour Laurent Thorance, directeur associé au cabinet Axelcium, il est important de mettre en place au préalable les règles de jeu et d’avoir une autorité indépendante de régulation pour éviter tout conflit d’intérêt. «L’expérience montre que la mise en œuvre d’un partenariat public-privé réussi se caractérise par 3 composantes: un contrat, un modèle de régulation et un guide de comptabilité régulatrice», explique-t-il. Cet avis est partagé par Mohamed Kadri, qui déclare que le projet de la création d’une structure de régulation de la gestion déléguée au Maroc est en gestation. Parmi les tâches du nouveau régulateur, on cite entre autres la réglementation et normalisation, l’arbitrage et le règlement des litiges, l’établissement des critères de performance des opérateurs et la production des références statistiques.

Pas de modèle universel
Le modèle du PPP dans le domaine de la gestion déléguée a réussi dans certaines métropoles et certains secteurs et a échoué dans d’autres régions du monde. Si le premier contrat de la gestion déléguée des services publics de Casablanca a été négocié dans la hâte et dans un contexte marqué par un vide juridique, les contrats de Rabat et de Tanger ont bénéficié de l’évolution de la réglementation, notamment avec la mise en application de la loi 54-05 relative à la gestion déléguée et aux enseignements tirés de l’expérience casablancaise. Pourtant, ce modèle de PPP a prouvé ses limites dans les deux villes. Ainsi en témoigne l’exemple récent de la société Stareo, pour laquelle la ville de Rabat a concédé la gestion du transport urbain. «À mon sens, il n’y a pas de modèle universel transposable. Le partenariat public-privé, oui, mais à quel prix ? Quel type de financement faut-il adopter ? Faut-il opter pour des IDE ou lever des fonds sur le marché national ? Ce sont autant de questions auxquelles il faut trouver des réponses au préalable, pour mieux gérer le contrat de délégation de la gestion des services publics», argumente Mohamed Kadri. Pour ce dernier, l’approche sectorielle est primordiale, pour réussir la gestion de ce dossier épineux de la gestion déléguée. Pour ce qui est de Casablanca, il faut rappeler que le contrat avec la Lydec a déjà fait l’objet d’une révision en 2006 et une deuxième révision est prévue pour 2012.

Avant d’en arriver là…
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avant d’arriver à ce stade, le Maroc a payé une lourde facture. Au moment de la signature de son premier contrat de gestion déléguée, en l’occurrence celui pour le Grand Casablanca, le Maroc n’était pas prêt pour le négocier. «Il y avait un vide juridique et en face une régie, en l’occurrence la RAD, qui était défaillante et il fallait mettre fin à cette anarchie», souligne d’emblée Mohamed Kadri, gouverneur directeur des régies et des services concédés au sein du ministère de l’Intérieur. Il faut rappeler, dans ce sens, que le contexte de la métropole était différent de ce qui se passe aujourd’hui. La défunte RAD frôlait la faillite et était dans l’incapacité de gérer les besoins croissants du Grand Casablanca en matière d’eau, d’électricité et d’assainissement. Le ministère de l’Intérieur a négocié alors directement avec l’opérateur français Suez et lui a octroyé, de gré à gré, le marché de la gestion déléguée de distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement. Le cadre de négociation n’était pas alors équilibré.

La négociation du contrat de Casablanca a été confiée aux cadres du ministère qui n’avaient pas alors une expérience dans ce domaine des concessions, notamment sur le volet d’évaluation et de gestion de risques. Néanmoins, le Maroc ne devait pas s’arrêter là. Urbanisation et démographie obligent. La situation des régies des autres villes était défaillante et il était grand temps de passer à la vitesse supérieure, tout en bénéficiant de l’expérience du Grand Casablanca. Les responsables du ministère de l’Intérieur se trouvaient alors face à un dilemme. Devaient-ils continuer sur le schéma classique de la GDSP ou procéder à une mise à niveau des régies? «Il est vrai que le partenariat public-privé dans le domaine de la gestion déléguée nous a servi de modèle et a eu un effet d’émulation important pour nous, mais nous avons jugé important d’opter pour le deuxième schéma, celui de mise à niveau des régies», affirme Mohamed Kadri. C’est une option qui nécessite de lourds investissements (3 à 3,5 milliards de dirhams par an), mais qui s’avère efficace aujourd’hui. «C’est le cas de la régie de la ville de Marrakech. Radeema souffrait de problèmes budgétaires chroniques, mais elle est aujourd’hui la régie la plus performante grâce au plan de mise à niveau» souligne-t-il. Il est à noter que 2,6 milliards de dirhams ont été investis entre 2006 et 2010 pour réussir la mise à niveau de la Radeema.

Les dossiers de délégation … en salle d’attente
Quand il s’agit de déléguer la gestion d’une activité, d’un projet ponctuel ou d’un service, les tiroirs des autorités publiques ne désemplissent pas. Les principales opérations en cours se chiffrent en effet dans la dizaine. L’un des plus importants demeure l’Office national des chemins de fer, qui devrait faire l’objet d’une concession de l’ensemble de son réseau ferroviaire pour une durée de 50 ans. Ensuite, vient dans la liste des «dossiers lourds», celui de la gestion des polycliniques de la Caisse nationale de sécurité sociale. Huit localités géographiques sont concernées, dont Casablanca, Agadir, Tanger et Oujda. Sur un autre registre, la conception, réalisation et gestion du jardin zoologique national de Rabat, devraient aussi être concédées pour une durée de 20 ans, pour un investissement de près de 420 millions de dirhams. D’autres contrats sont également prévus dans le secteur agricole, en l’occurrence.
Il s’agit de la conception, la construction, la participation au financement et l’exploitation du réseau d’irrigation, dans plusieurs périmètres agricoles pré-ciblés.
Ce serait le cas, en effet, pour le périmètre du Loukkos, du Tadla, des Doukkala, ainsi que
celui de la Moulouya.
L’eau potable ne déroge pas à la tendance. L’Office national de l’eau potable devrait concéder la réalisation d’une unité de dessalement d’eau de mer pour l’alimentation en eau potable du Grand Agadir, selon les prévisions du ministère des Finances. Un autre projet du genre, mais destiné cette fois à l’irrigation de la zone de Chtouka, est par ailleurs prévu. Le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime en serait l’autorité délégante.

Ihssane ANDALOUSSI – lesechos.ma

Publié 27 octobre 2011 par Michel Terrier dans Actualité, Agadir, Développement