Interview de Hassan Wahbi, auteur du texte du Livre « Agadir, la ville impassible »

Hassan Wahbi

 

J’ai eu le privilège de pouvoir interviewer Hassan Wahbi, il y a quelques jours  et je vous livre ci-dessous le fruit de cette entrevue.

Hassan Wahbi est un universitaire très érudit qui a de nombreuses cordes à son arc : universitaire, poète, écrivain… avec de nombreuses publications parmi lesquelles :
LA BEAUTÉ DE L’ABSENT (Entretiens avec Abdelkebir Khatibi),
LA PART DE LUMIÈRE,
CORPS DE L’AUTRE,
ABDELKÉBIR KHATIBI (La fable de l’aimance),
ICI…

 

Je lui ai posé quelques questions concernant son parcours et son approche pour la rédaction du texte qu’il a fait pour le livre « Agadir la ville impassible » qui est paru le 15 janvier.

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M. T. (Blog d’Agadir) : Monsieur Hassan Wahbi, je vous remercie de me donner le plaisir de parler avec vous de ce livre « Agadir la ville impassible » qui vient d’être publié et que vous avez « illustré » par votre plume.
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Tout d’abord, parlez-nous un peu de vous, qui êtes-vous ? Quel a été votre parcours ?

Hassan Wahbi : C’est un parcours traditionnel : au départ, une formation universitaire en littérature francophone avec, bien entendu, des liens avec les sciences humaines et sociales.
J’enseigne depuis 1986 à la Faculté d’Agadir. Les matières que j’ai abordées étaient un peu diverses, un peu plurielles avec, à la fois, les genres littéraires, l’histoire des idées, l’esthétique, l’anthropologie culturelle, la question de l’interculturel qui m’importe un peu plus aujourd’hui et ceci a été fait à partir d’un travail académique que j’ai fait en deux parties :
–  une thèse de 3ème cycle
–  un doctorat d’état sur un écrivain marocain, Abdelkebir Khatibi qui faisait partie des écrivains un peu difficiles mais qui représentait une belle et forte facette du Maroc intellectuel : il a abordé de grands thèmes : l’identité, la différence, la sociologie marocaine, la langue et la peinture. Il faisait partie des plus grands critiques d’art.

En travaillant sur lui, j’ai travaillé aussi sur moi, c’est une façon d’avancer avec les écrivains et avec lui en particulier et il y a eu une sensibilité particulière, non pas au discours académique et universitaire qui est , en lui même, plus ou moins un « pont aux ânes » dans le sens où tout le monde parle un peu de façon identique, mais plutôt, en essayant de protéger la littérature contre un type de discours, c’est à dire  de rester dans la littérature, de protéger le lecteur qu’on est, car en effet, tout passe et ce qui est important, c’est l’état de la littérature elle-même et, à ce sujet, je me souviens de cette boutade de Jean Rostand, le biologiste qui a consacré toute sa vie à l’étude des grenouilles : à un moment donné, un journaliste lui dit : « vous êtes connu maintenant, vous avez travaillé sur les grenouilles et dès lors, vous avez acquis votre éternité » Rostand lui répondit : « mon pauvre homme, le biologiste passe, la grenouille reste ! » De la même manière, les critiques, les professeurs passent, la littérature reste.

C’est important que la littérature accompagne toujours notre façon de vivre à partir de cette idée de rapport très étroit, très existentiel et même peut-être salutaire avec la littérature : ça m’a poussé à travailler et aller vers la diversité des formes, la peinture et la photographie.

Tout cela, ce ne sont pas des exercices de style mais c’est une façon d’être dans l’épreuve des formes, du beau, et petit à petit, cela donne une sorte de renforcement de l’aspect le plus personnel de ce qui concerne la poésie.
La poésie est la chose qu’on écrit dès le départ parce que c’est l’expression la plus adéquate par rapport au lyrisme, à l’expression de soi.
J’ai attendu longtemps avant de publier, pour des questions de scepticisme, de doutes… Il a fallu attendre la rencontre avec Abdellatif  Laâbi…

Mais ce qui est important, ce n’est pas de faire de la poésie pour la poésie, c’est par elle qu’on avance au cœur des choses… Et même si Tahar Ben Jelloun dit que la poésie va sauver le monde, je pense que personne ne va sauver le monde, je ne crois pas à cette prophétie, ce côté oraculaire du poète mais je crois plutôt que seule, la lucidité peut sauver le monde, mais la lucidité est rare, comme le dit René Char, « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » : il faut être blessé pour pouvoir être un peu modeste dans ce monde et ne pas faire comme ce qui se passe en ce moment et depuis quelque temps dans le monde.

M.T. : Vous êtes originaire de la ville d’Agadir ?

H. W. : Je suis originaire d’Inezgane, un berbère d’Inezgane et dans le livre, je parle un peu de cette dualité Agadir – Inezgane.
J’ai eu mon bac à Inezgane, je ne suis pas passé par une francophonie élitiste, mais par une francophonie « personnelle », puis passage à Rabat pour la licence et la thèse à Paris, mais dans un cheminement totalement littéraire.

M. T. : Pour en revenir au livre « Agadir, la ville impassible » qui vient de sortir le 15 janvier, vous avez été contacté par Azigzao pour faire ce texte sur Agadir, comment avez-vous approché cette écriture ?

H. W. : Avant de répondre, il y a quelque chose qui est potentiellement présent dans mon travail, c’est dans le cadre de la réflexion sur les lieux : je suis une sorte de « topophile » et, en littérature, peinture ou dans les arts visuels, il y a toujours cet attachement aux lieux.

Quand Azigzao, Touria plus exactement, m’a parlé de ce livre, j’ai eu un double sentiment :
–  d’un côté, je me suis dit que c’était une continuité par rapport à ce qui m’intéressait
–  mais en même temps, j’ai paniqué parce que je ne savais pas comment faire ce livre.

Pour faire ce livre, il fallait réfléchir. Avec Touria, c’est le « harcèlement positif » et elle m’a poussé à y réfléchir. J’ai ensuite dit oui parce que c’était l’épreuve qui m’intéressait et non le livre en lui-même. Cette épreuve c’était comment parler de la ville.

Au départ, j’étais dans un état d’aveuglement, je me suis dit qu’il fallait avancer et, en travaillant, les choses se font et se construisent d’elles-mêmes.
J’étais en France, en résidence d’écrivains, en septembre dernier et j’ai lu beaucoup de livres dans les bibliothèques : ce livre était pour moi une école de formation, il m’a fallu lire des urbanistes, des architectes, tout ce qui a été écrit sur Agadir et j’ai découvert des textes magnifiques, en dehors, bien sûr, de quelques textes nostalgiques mais ce n’était pas ce qui m’intéressait, c’était plutôt la performance, comment on a reconstruit cette ville à partir de principes de créativité et d’inventivité, ce que beaucoup ne savent pas.

Le livre était donc un gageure, c’était difficile mais c’était une école de formation et d’écriture parce qu’Agadir ne se donne pas.
Autant certaines villes patrimoniales s’imposent d’elles-mêmes, par leur histoire…et encore, on a tout dit de Marrakech, de Fès, que peut-on dire de plus ? Il faut être génial, comme Hassan Jouad qui a fait un très beau livre avec sa femme Elzbieta sur Marrakech (Marrakech : Culture populaire de la médina), un livre qui sort un peu des sentiers battus, sur la culture, la ville, la vie retirée des derbs, ses ruelles… écrit dans un style magnifique.

Mais Agadir n’est pas une ville patrimoniale. Tout le monde dit que c’est une ville qui n’a pas d’âme, elle est en désamour, elle est méconnue et n’est pas comprise.

Alors, je trouve que c’est trop facile, c’est la raison pour laquelle j’ai, à un moment utilisé l’image de « ville fatale, ville courtoise » : c’est comme les femmes fatales : on subit tout de suite le charme, on est enfermé sous la chape de la séduction.

Agadir n’est pas une « ville fatale », c’est une ville qui demande un accompagnement « un art courtois qui l’accompagne » pendant des années pour la sentir et, à un moment donné, ça marche !

C’est une ville qui nous pousse à y bien vivre, à la voir, à la sentir, à y avoir des rituels et c’est ce qui manque un peu. Par exemple, les gens ne savent pas que descendre sur la plage le matin quand il y a marée basse et faire une demi-heure de marche sur le sable procure un sentiment extraordinaire.

Faire ce livre était une aventure : on s’est lancé et petit à petit, les choses se sont faites.
En me relisant, je me suis dit : comment est-on arrivé à ça ? C’est un signe : quand on ne reconnaît plus son écriture, c’est que le livre nous quitte…

C’était donc au départ, beaucoup de doutes, beaucoup de difficultés, mais il y avait quand même derrière, une passion, l’envie de le faire et parce que beaucoup de ce que je lis sur Agadir m’ennuie : c’est soit de la sous-culture, soit très historique, noyé dans beaucoup d’archives, soit ciblé sur le séisme.
Mais il faut parler de la ville en tant que telle et je crois qu’il y a encore beaucoup de choses à dire que je ne peux pas dire moi parce que ce j’ai donné, je l’ai donné… Mais d’autres peuvent peut-être, à partir de ce livre ou à partir d’autres, voir un peu plus la vie des quartiers, l’émotion des uns et des autres et même « l’enfer des villes », l’urbanisme qui est souvent de la modernité malheureuse dans le sens où tout le monde ne se sent pas bien dans les villes où il y a la violence, les écarts, les injustices…

En marchant dans la ville, j’ai trouvé qu’on ne s’en occupe pas suffisamment : il y a de grands projets, il y a de très bonnes intentions de la part des responsables mais le travail simple, l’entretien ne sont pas à la hauteur, il suffit de voir la qualité des jardins avec des tas de poubelles…

Ce qui fait qu’une ville est aimable, c’est que là, je m’y sens bien, que j’y trouve des choses simples, comme des squares bien entretenus, des jeux pour les enfants : ce qui m’intéresse principalement, c’est la qualité de vie, c’est pourquoi je cite un anthropologue que j’aime beaucoup : Pierre Sansot qui a fait des choses magnifiques sur les jardins de France, sur la ville. Il a fait un très bon livre intitulé « La Poétique de la Ville » qui résulte d’un pari insensé : qu’un homme puisse, à lui seul, s’emparer de la ville et nous en restituer toutes les facettes, tous les secrets.

On parle de « poétique de la ville », mais il faut aller vers une « poétique des lieux », c’est à dire, comment les lieux nous interpellent, nous permettent de vivre et comment nous les voyons : il y a des moments où la lumière à Agadir est incroyable, mais il faut savoir la regarder… Un autre exemple : au mois de septembre, il y a un type d’oiseaux migrateurs qui partent vers Tildi et y restent un mois, un mois et demi avant de repartir, mais il faut les voir…
Il faut être attentif aux lieux et être exigeant aussi, c’est à dire savoir regarder, savoir aimer ce que l’on voit, ce qui n’est pas évident : nous sommes, en général dans un rapport avec les choses plus facilement négatif que positif. On a le droit de critiquer mais il faut aussi de l’attachement : les premières personnes qu’on critique régulièrement sont, en général, les personnes qui nous sont proches.

Khatibi dit à propos du Maroc: « j’aime le Maroc d’un amour critique » c’est à dire qu’avec la proximité, il faut dire ce que l’on pense et c’est l’un des objectifs de ce livre : dire comment Agadir souffre de beaucoup de choses, de discontinuités, de fragmentation, mais dire aussi comment la voir autrement, et comment pouvoir révéler l’appréciable de cette ville.

M. T. : comment avez-vous organisé votre parcours et vos visites ?

H. W. : Ce qui m’a étonné dans la progression de l’écriture, c’est qu’au départ, je n’avais pas besoin d’aller voir les choses : je les connaissais : pendant des années, j’ai circulé et sillonné la ville.

En travaillant, tout est remonté à la surface, tout seul, comme une sorte de vérité interne à la ville qu’il fallait être là pour recevoir : les cris… les personnages… qui méritent une sorte d’approche sociologique urbaine.

Au départ, il y a eu une approche méthodologique rigoureuse : j’ai fait une « table des matières », il y a eu ensuite, bien sûr, des changements : des titres ont disparu, d’autres sont venus s’ajouter pour créer une discipline.

Sur le passé de la ville, je n’ai pas voulu m’appesantir : cela a déjà été fait.

Les choses étaient claires au départ le reste est venu petit à petit et s’est installé parce que c’était le résultat du parcours lui-même.

Concernant les photos du livre, j’ai rencontré dans la Somme un artiste photographe, Michel Monteaux, j’ai discuté avec lui, l’ai proposé à Azigzao et il est venu pour travailler. Il y a donc, à la fois, le hasard et la nécessité, la volonté et la contingence pour faire le livre, et les éléments viennent au fur et à mesure.

Il y a aussi, bien sûr, le photographe Saïd Aoubraim que nous avons intégré pour qu’il donne un regard personnel, mais, comme il l’a dit lui-même, il a eu beaucoup de difficultés à photographier la ville. Toutes les villes sont difficiles à photographier si on veut s’éloigner des stéréotypes visuels, mais là, la difficulté venait aussi du fait que Agadir est une ville particulière : elle est pleine de vie par instants et, c’est étrange, il y a des moments où il n’y a personne dans certains quartiers, même sur de grandes avenues comme Hassan II, on a l’impression qu’il y a une sorte d’intelligence silencieuse.

Le livre s’est donc fait, au départ avec une approche peu précise et petit à petit, les choses se sont organisées, mais il y avait au départ, deux choses fondamentales :

– comment être positif avec Agadir et avoir une certaine connivence
– le désir de faire un livre qui permette de parler d’Agadir avec un peu d’exhaustivité d’y voir les différences.

Mais il est très difficile de décrire une ville et il me vient une anecdote : c’est comme lorsque Flaubert apprenait à écrire à Maupassant : il le mettait devant un arbre et lui disait : « décris-le moi ». C’est extrêmement dur et c’est pareil pour un écrivain ou un observateur que vous mettez devant une ville en lui disant « parlez-moi de cette ville ».
C’est très difficile, il y a le langage, il y a les mots à choisir et un gros travail à réaliser avec un côté studieux qui disparaît ensuite dans le livre qu’il faut rédiger avec une subjectivité rigoureuse et non avec une rigueur sèche et vide.

 

Publié 5 février 2015 par Michel Terrier dans Actualité, Agadir, Interview, Littérature