Archives de 17 novembre 2013

Tradition : Fièvre de Achoura : Rites et dangers

Naîma Cherii – lereporter.ma

Fruits_secs_maroc_achoura_photo_Le_ReporterJeudi 14 décembre, le Maroc fêtait l’Achoura. La célébration de cette fête religieuse, commémorée chaque année le 10 Moharram, a commencé cette année le 5 novembre (soit le 1er de Moharram) et s’est poursuivie jusqu’au 14 novembre (10 Moharram), journée de jeûne en mémoire du prophète Mohamed qui jeûna durant cette même journée pour remercier Dieu d’avoir sauvé le prophète Moïse.

Achoura_maroc_photo_Le_ReporterTrès attendue par les petits, mais aussi par les grands, l’Achoura relève des traditions de l’ensemble des Marocains et des musulmans de par le monde. Mais au-delà de sa portée spirituelle et religieuse, elle est surtout vue comme un jour de partage, de générosité et de distribution de la zakat pour apporter la joie aux plus pauvres.
A l’arrivée de cet événement hors du commun, les marchés de Casablanca deviennent, une fois de plus, bruyants et illuminés. Le Reporter a fait, ce vendredi 8 novembre, un tour dans certains grands marchés de la ville qui, à cette occasion, connaissent une activité intense. Les gens y viennent, chaque année, à cette occasion, pour faire leurs emplettes surtout en fruits secs et aussi pour acheter des cadeaux à leurs enfants.
«Cette fête est si particulière pour nous les Marocains. Souvent nous la commémorons en grande pompe. Nous la préparons dix jours avant la nuit de l’Achoura», tient à souligner Kenza que nous avons rencontrée à Derb Omar. Mère de trois enfants, la jeune femme (35 ans) ajoutera, expliquant: «Célébrer la fête de l’Achoura fait partie de nos traditions et de nos coutumes. Certes, certains pourront dire que l’on ne devrait pas considérer cette journée comme une fête, puisque c’est le jour du martyre d’Al Hussein, le fils de Fatima, la fille du prophète, paix et salut de Dieu soient sur lui. Mais on ne devrait pas non plus faire couler le sang». Et de conclure: «L’Achoura est une journée durant laquelle on donne l’aumône, sans oublier nos enfants qui, durant cette fête, sont toujours heureux de recevoir les jouets qu’on leur offre».

Des galeries sur le pied de guerre…

Considéré comme le plus grand marché de jouets où l’on vend des jouets (gros et détail), Derb Omar, plaque tournante du commerce formel et informel, devient, pendant dix jours, une grande foire à jouets. C’est dans ce marché qu’atterrissent toutes les importations de ces produits en provenance de Chine. Tous les marchands des quartiers de la métropole, mais aussi des autres villes du Royaume, viennent s’y approvisionner. A «Kissariate Ramadane», marché de gros, nous avons rencontré un nombre très important de marchands venus des quatre coins du pays pour récupérer leurs commandes en jouets. «Chaque année, quelques jours avant la célébration de l’Achoura, je viens à Derb Omar pour l’achat de ces jouets, lesquels sont convoités par les parents qui aiment les offrir à leurs enfants», lance Brahim, un commerçant venu d’Agadir.
Ainsi, l’achat de jouets est une activité très courante pendant cette fête particulière, selon les commerçants de Derb Omar. «Pour nous c’est une occasion de vendre nos produits que nous ne parvenons pas à écouler pendant l’année», indique au Reporter Mohamed, un commerçant de la galerie «Borj Al Yakoute» à Derb Omar. Ce vendredi, les magasins étaient sur le pied de guerre. Les étals multicolores des galeries commerciales de ce marché suscitaient la curiosité des bambins et invitaient leurs parents à l’achat. On y trouve des quantités énormes de jouets de toutes sortes et de toutes les couleurs.

Danger: des jouets «cancérogènes»

Approchée par Le Reporter, Amina, une mère de deux fillettes rencontrée à Derb Omar, nous a confié: «Mes parents et mes grands-parents célébraient cette tradition. Maintenant que je suis mariée et que j’ai ma petite famille, je tiens moi aussi à me conformer tous les ans à cette tradition. Chaque année, je dois donc venir dans ce marché pour acheter des jouets à mes deux filles, Sara et Ghita. Je leur achète aussi deux  »taârijas » pour qu’elles puissent jouer avec leurs camarades dans le quartier». Pour Amina, choisir un cadeau s’avère une tâche difficile. «Si auparavant on offrait des tambourins et des  »taârijas », aujourd’hui, les choses ont changé. Les enfants préfèrent d’autres jouets tels les pistolets, les voitures, les trottinettes, les poupées, les jeux vidéos et autres gadgets», conclut la jeune maman qui semble attirée par certains jouets: des trottinettes. A la question de savoir si elle va enfin se décider à l’achat de ces trottinettes, Amina nous répond: «Non. Je pense que je vais enfin choisir des poupées, question de sécurité». A ce sujet, Mohamed Dahbi, Secrétaire général de l’Observatoire national de la consommation, déclare au Reporter: «Très peu de jouets vendus à bon prix respectent les normes internationales de sécurité». Et la même source de préciser: «Ces produits proviennent de Chine, par contrebande. Il n’y a pas que le marché de Derb Omar où l’on trouve ces produits à risque, mais tous les quartiers de la métropole en sont inondés». Il ne faut donc pas se fier aux lettres «CE» (Communauté Européenne) imprimées sur ces produits. L’Etat marocain doit absolument prendre la question de contrôle de ces produits très au sérieux. Car nous avons découvert que des jouets  »cancérogènes » provenant de Chine seraient commercialisés sur le marché national».

Fruits secs, «Krichlate», «Keddid» et «Diala»

L’Achoura, c’est aussi l’achat de fruits secs: noix, amandes, cacahuètes, raisins secs, dattes, figues sèches…
A côté des jouets, la vente des fruits secs bat aussi son plein durant les jours qui précèdent la fête de l’Achoura. Les marchés de la place en regorgent. «Cette année, la production est très importante. Nous avons même des fruits secs importés de l’étranger. A n’en citer que les amandes importées d’Espagne et les noix provenant du Chili, lesquelles sont très demandées, bien qu’il n’y ait pas mieux que la production nationale», précise un vendeur de la rue Maâmoura à Derb Soltan, un autre quartier très animé durant cette fête et où les marchands ambulants étalent leurs marchandises le long des ruelles.
De grandes quantités de ces fruits sont achetées par les familles marocaines pour les offrir, dans une ambiance très festive, à leurs invités et leurs proches. «Chaque année, je viens dans ce marché pour l’achat des fruits secs. Cela est devenu une coutume dans notre famille. A quelques jours de la fête, nous achetons ces fruits secs», déclare Hajja Hlima rencontrée au marché Derb Soltan. Elle ajoute: «Chaque année, je tiens à célébrer la fête de l’Achoura avec mes enfants et à offrir à mes proches et mes invités le meilleur de ces fruits secs dans un grand plateau qui doit être vidé durant la journée de la fête. Sachant que la tradition veut que, le jour de la fête, ces fruits secs soient présentés avec des  »Krichlate », un gâteau spécial coupé en petits dés. Les enfants en sont d’ailleurs friands. Même quand ils se gavent de ces fruits, nous ne les grondons pas. Ce serait même de mauvais augure que de les gronder».
Mais l’Achoura est également symbole de banquets spécialement préparés pour cette occasion. L’un des moments fabuleux de ce rituel est en effet la réunion des membres de la famille autour de la table pour déguster un bon plat de couscous aux légumes et à la «diala» (croupe de mouton salée et séchée). Les femmes marocaines célèbrent la nuit de l’Achoura en préparant des plats typiquement marocains. Hajja Hlima, femme au foyer (60 ans), tient à nous souligner: «La célébration de la fête de l’Achoura ne peut pas se faire sans la préparation de ces plats traditionnels tels la  »Diala », le  »Keddid » ou encore la  »Mejebna ». C’est une tradition que nous avons héritée de nos grands-parents. Pour le «Keddid», par exemple, c’est un plat de viande séchée au soleil après avoir été enrichi d’épices et conservé depuis l’Aïd Al-Adha». Et la même femme de poursuivre: «Les femmes qui n’ont pas encore eu d’enfants et qui veulent en avoir doivent rassembler des «Keddid» auprès de leurs amies pour en faire un plat appelé «Kaddida» qu’elles partageront avec leurs invitées et leurs proches la nuit de l’Achoura. C’est une croyance qui remonte à plusieurs décennies».
Rappelant avec nostalgie l’époque où elle était encore enfant, Hajja Halima ne manque pas de constater, non sans regret: «Cette occasion commence à perdre un peu de son éclat, du moins en ce qui concerne les fêtes de rues qui étaient surtout animées par des femmes». Elle expliquera: «Après la dernière prière du soir, les femmes se réunissaient, autrefois, devant leur domicile pour manifester leur bonheur et leur joie de célébrer l’Achoura, aux chants et aux rythmes de «Houari». Toutes les ruelles des quartiers de la métropole étaient pleines de ces femmes qui tenaient tant à montrer leur joie à cette occasion. Ce qui donnait à cette fête de l’Achoura un caractère légendaire». Et de conclure: «Aujourd’hui, les choses ont changé. On ne voit plus les femmes sortir devant leur demeure pour chanter au rythme de «Houari». Certes, les rythmes des «taârijas» ainsi que les chants des petites filles envahissent tous les coins de rues dès les premiers jours du mois de Moharram. Mais je pense que les choses ont quand même changé».

Publié 17 novembre 2013 par Michel Terrier dans Actualité, Société, Tradition